Le Déconfinement de M. Garry

Garry habite tout seul dans un 3 1/2 d’une résidence privée pour personne âgée autonome à ville Saint Laurent. Avant la pandémie, il sortait chaque jour pour aller prendre un café dans un centre d’achat près de chez lui, puis il allait voir des amis (ceux qui restaient encore…comme il dit souvent) au club d’âge d’or d’un centre de loisirs.

C’est un homme qui a établi une routine, mis en place des stratégies pour ne pas se sentir seul, pour sortir de chez lui et rencontrer d’autres personnes. À 90 ans il conduit toujours sa jeep blanche, pour aller faire ses commissions, se rendre à ses rendez-vous médicaux et prendre ses repas congelés de l’organisme qui offre la popote roulante dans son quartier, malgré le fait que la livraison est incluse.

Depuis 2014, j’ai le privilège de rencontrer ce monsieur une ou deux fois par mois, pour jaser avec lui, l’écouter, parler des nouvelles, partager des opinions et garder en lui la chaleur crée par la petite visite d’un membre de sa communauté qui parle sa langue et l’écoute avec grande ouverture et sans jugement. Je ne cacherais pas que ces visites m’apportaient et m’apportent toujours, en tant qu’intervenante, beaucoup de chaleur humaine aussi, il me rappelle souvent à mes deux grands-papas qui sont au Liban, et qui me manquent énormément.

Revenons à Monsieur Garry, qui comme nous tous, a été confiné… seul, isolé dans son appartement, 3 1\2, il ne pouvait pas en sortir, il n’avait pas le droit, pendant de longs mois d’hiver passés tout seul, entre les 4 murs de son appartement d’une résidence privée où il y a eu une éclosion de COVID-19 et tout le monde a été contaminé, même lui…

Il a passé à travers toutes ces épreuves comme un champion, comme un expert! Ayant comme réseau de soutien une famille qui le soutenait à distance (même avant la pandémie), et nous! Nous l’appelions régulièrement pour vérifier son état de santé, et le suivre étape par étape. Nous avons été témoins de son passage à travers l’isolement social, la distanciation physique, l’hiver, le virus et le déconfinement…

La dernière fois que je l’ai rencontré, c’était début août, il m’a raconté son déconfinement! « Après avoir passé plusieurs mois dans mon appartement, sans pouvoir sortir, un jour, à la résidence ils nous ont annoncé que l’état s’améliore et que dorénavant on pouvait sortir…oui sortir, mais comment ? Aller où? Pour faire quoi? » s’est demandé Garry.

Il s’est installé au volant de sa voiture garé au même endroit tout au long du confinement, sa voiture, son compagnon… il ne savait même pas comment reprendre la conduite! Il n’était pas sûr de lui-même. « Le premier jour, me raconte Garry, j’ai démarré ma voiture et je me suis contenté juste de faire le tour dans le stationnement sans oser en sortir. Deux jours plus tard, j’ai quitté le stationnement pour faire le tour de la rue et y revenir, finalement, durant le troisième essai, j’ai osé me déplacer vers mon centre d’achat préféré, où on prend souvent nos cafés ensemble avec mes amis » il me raconte avec une colère mélangée de sourire qui est maintenant devenu « sa marque enregistrée ». Il racontait tout cela avec une sérénité divine, sans se rendre compte qu’il suscitait mon admiration pour sa grande résilience et parce qu’il était passé à travers cette nouvelle épreuve avec beaucoup de courage.

Après avoir complété le « rodage » de son auto, il a recommencé à créer une nouvelle routine. Une routine adaptée à la nouvelle réalité imposée par la pandémie. M. Garry est tellement créatif qu’en pleine pandémie lorsque les visites à domicile n’étaient pas encore permises, il m’a proposé « On peut se rencontrer dans le stationnement de « notre » centre d’achat Taline », il m’a suggéré un jour. « Tu restes dans ton auto, moi je reste dans la mienne, l’important c’est qu’on se voit et qu’on se parle de vive voix et en présentielle » et on l’a fait! C’est vrai qu’il fallait crier pour s’entendre d’une auto à l’autre, mais on s’en foutait! Son idée était un succès, quelque chose que nous, intervenants et équipe dans notre organisme n’avaient pas pensé! J’ai même suggéré l’idée à d’autres collègues et proches aidants, tout le monde l’a adoré et il y en a qui l’ont adopté!

« Ne te moque pas de moi Taline, mais je n’ai rien d’autre à faire, j’achète un café je viens m’asseoir ici dans le stationnement pour voir d’autres gens et pour changer un peu d’ambiance et d’atmosphère… ». Durant notre deuxième rencontre, au printemps, lorsqu’il commençait à faire moins frais, Garry s’est présenté à notre rendez-vous mieux préparé, avec une chaise de pique-nique pour s’assoir à l’extérieur de l’auto, pour faciliter la communication entre nous, tout en gardant une distanciation physique…et durant la troisième rencontre, ayant moins de restrictions, on a heureusement pu prendre un café ensemble et s’asseoir à la table du café où on se rencontrait avant la pandémie.

Comme toujours, Garry s’est fié sur lui-même pour s’en sortir, il avait de l’aide, mais sa volonté de poursuivre, de continuer et de vaincre tous les obstacles ont fait en sorte qu’il a transformé toutes les difficultés en défis!

Dans notre quotidien d’intervenantes, on entend tous les jours beaucoup d’histoires comme celles-ci. Des histoires touchant des gens, qui nous apprennent beaucoup et nous rappellent des choses qu’on connaissait peut-être, mais qu’on oublie parfois à cause de la surcharge du travail ou des responsabilités familiales.  L’homme est un être sociable, qui ne peut vivre seul! Il y en a qui ont passé à travers le COVID, en survivant la pandémie, mais surtout l’isolement. Il y en a qui nous ont quittés, seuls, dans le silence et loin de leurs proches.

Nous reconnaissons tous ceux qui ont survécu et vaincu l’isolement et ceux qui se sont éloignés de nous dans l’isolement, surtout les personnes âgées pour qui la situation était encore plus lourde et difficile. Nous reconnaissons les douleurs et les fardeaux de leurs proches et c’est pourquoi nous consacrerons les communications et publications de cette nouvelle saison d’entrée de Hay Doun aux aînés et leurs proches, dans l’espoir de « rénover les ponts qui nous unissent » et de recréer les liens qui nous bondissent…

Taline Ladayan